« Je mets toujours la tête au-dessus des clôtures de jardins pour voir ce que font les autres ».
Ce portrait est un défi tant le parcours de Christophe est riche et passionnant !
Tout commence auprès de son grand-père paternel qui avait un grand potager à Colmar. « Je garde l’image de mon grand-père en short, torse-nu dans son jardin. Je l’accompagnais à faire du jardin ». C’est dans ce même jardin que ce grand-père s’était caché avec succès durant la guerre pour échapper au front russe. Ses parents jardinent également. À quatorze ans, avec son père, il replante une vigne à la Waldeslust.
« J’ai fait le lycée agricole et j’ai été pris par cette ambiance. J’adorais la biologie animale et végétale ». À l’occasion de stages obligatoires, il découvre des fermes en Haute-Savoie et dans les Pyrénées.
Par la suite il obtient un BEP de garde-chasse. « J’allais voir les cerfs, les Grands Tétras et les canards au bord du Rhin ».
Pendant plusieurs années il fait partie des Scouts, expérience qu’il a « adoré », renforçant sa recherche d’autonomie.
Au début de sa vie professionnelle il est tour à tour ouvrier forestier, ouvrier viticole, ouvrier paysagiste. Il pratique le bûcheronnage et s’occupe d’une pépinière d’arbres forestiers. À cette même époque, il commence à s’intéresser à la biodynamie et assiste à des cours de jardinage donnés par Mme Salsch, une ancienne maraîchère de Colmar. « C’est parti de mon intérêt pour les forces cosmiques et de l’influence qu’elles me semblaient avoir sur la terre et les végétaux. »
Christophe aime apprendre et passer de la théorie à la pratique. Il se lance dans un BEP « Plantes condimentaires et médicinales ». Avant même d’avoir terminé son cursus, il est embauché à mi-temps dans une réserve naturelle située dans le secteur du Langenfeld. Il déménage alors à Buhl dans la vallée de Guebwiller. « Là, j’ai fait un grand jardin potager. Je me suis passionné pour le jardinage pour de vrai, j’étais accro. Je plantais des tomates sous la pluie parce que le calendrier des semis indiquait que c’était un bon jour, n’importe quoi ! Avec ma femme, nous avons remis un vieux jardin en culture au Remspach ».
Toujours prêt à découvrir de nouveaux horizons, il envoie une candidature spontanée aux Laboratoires Weleda qu’il a visité pendant son BEP. Il y est embauché comme herboriste. « Je me suis occupé des récoltes de plantes sauvages avec une équipe de saisonniers. Je suivais l’arnica de A à Z ». En 1997, il remplace le jardinier avec la charge de cultiver 140 espèces de plantes en biodynamie et de les transformer en teintures – mères. Il agrandit le jardin en orientant le jardin vers l’autonomie . « C’était une expérience très enrichissante car la direction me faisait confiance et me permettait ainsi d’être créatif dans une large mesure». D’autant plus qu’il visite de nombreuses fermes et jardins dans le cadre des visites entre adhérents du syndicat régional de biodynamie et participe à une étude universitaire sur l’impact de la cueillette et des pratiques agricoles sur les populations d’arnica du Markstein.
« J’apprenais aussi beaucoup avec les stagiaires », une phrase qui en dit long sur son ouverture, son envie de partager et de transmettre. Il était d’ailleurs aussi formateur à l’école de biodynamie d’Obernai.
Après 16 années chez Weleda, Christophe a l’opportunité d’occuper un poste vacant au Foyer d’Accueil Les Allagouttes à Orbey. Cette structure accueille des jeunes en situation de handicap âgés de 18 à 25 ans. Pour chacun d’entre eux, un projet d’atelier est élaboré à la rentrée : cuisine, boulangerie, jardinage. Le travail est planifié pour la semaine, ce qui a été fait est noté dans un cahier. Il s’agit pour ces jeunes de rentrer dans un rythme de travail pour devenir le plus autonome possible. En 2015, une équipe de quatre éducateurs a pris en charge 13 jeunes au jardin et c’est Christophe qui organise le travail. Les fruits et les légumes sont distribués pour être cuisinés dans chacune des quatre maisons du site.
« J’ai vu le potentiel de la terre en arrivant ici. Je suis passé d’une terre argileuse chez Weleda à un sol sablonneux à Orbey : une bonne dose de compost et c’est parti ! » D’un jardin tout en lignes, il passe dans un premier temps à des carrés de cultures qu’il trouve moins monotones. Il conserve les 5 terrasses existantes en y dessinant des courbes, améliore les accès pour les jeunes et incline certaines planches vers le sud pour favoriser l’ensoleillement sur les cultures. Déambuler dans ce jardin est un vrai bonheur. Même s’il dit qu’il fait « un jardin de fainéant », on imagine tout le travail accompli et en premier lieu le soin apporté à la terre (compost, engrais verts, couverture permanente…). Travail accompagné d’une curiosité permanente qui l’a tout récemment mené vers la permaculture, une approche qui s’inspire du fonctionnement des écosystèmes naturels.
Plus de 2h que je l’écoute avec grand intérêt et c’est avec cette phrase de Christophe que j’ai envie de finir : « Il y a une belle correspondance entre le jardinage et le tango argentin : il faut savoir s’adapter en un quart de seconde aux qualités de la danseuse en écoutant la musique qui sans cesse évolue».
Comment jardine-t-on aux Allagouttes ?
Les surfaces : 30 ares de maraîchage, 30 ares de fruitiers, 500 m2 de serres-tunnels, 1 ha d’espace vert
Principes de culture : couverture permanente du sol (compost, mulch d’herbe tondue et séchée dans les allées, déchets de taille, fumier très pailleux…) ; paillage des cultures (sauf la salade et les choux à cause des limaces); rotations des cultures ; engrais verts (seigle, blé et vesce pour l’hiver, sarrasin, phacélie, avoine, pois, féverole, trèfle rouge pour l’été) ; fumier et restes de végétaux sur les planches sans engrais vert ; plantes désherbées laissées sur place ; arrosage avec tuyau poreux ou arrosage oscillant par temps sec ; aucun traitement , parfois des tisanes et des purins d’orties et consoudes. Et surtout : des techniques simples et efficaces de prophylaxie comme un voile sur les poireaux pour éviter la mouche, mulch de végétaux et de fumier pailleux ou binage classique selon la culture; beaucoup, beaucoup de fleurs disposées en mosaïques dans des zones dédiées (zinnias, cosmos, tournesols, capucines, roses, etc.) et en alternance avec les cultures en planches surélevées. Le sol est travaillé le moins possible. Utilisation principale de la grelinette et du râteau à foin, de la binette oscillante, du croc et du sillonneur. Le motoculteur est équipé d’une « fraise » et ne travaille jamais à plus de 8 cm de profond, uniquement pour affiner une terre qui sera semée ou pour incorporer en surface des engrais verts tondus et pré-fanés.
Un compost végétal en lasagnes : chaque semaine, il y a 4 poubelles de déchets de cuisine à recycler. Ces déchets sont disposés en couches alternées avec des matériaux secs (paille, feuilles). Le tas n’est jamais retourné mais bâché par une couverture en non tissé lourd et se transforme en un excellent compost au bout de 8 à 12 mois. Tamisé fin, il entrera dans un bon terreau qui servira pour les semis et les rempotages.
Un tas de fumier est stocké en permanence pour être utilisé frais en mulch lorsqu’il est pailleux ou laissé à composter sous une bâche en toile non tissée. Le fumier provient du centre équestre de Pairis ou des vaches de la ferme du Surcenord. Cela représente environ 8 tonnes de fumier par an.
Fleurs et fruitiers : au total 80 fruitiers et de nombreux arbustes qui produisent groseilles, cassis, mûres, myrtilles, framboises et caseilles. Entre 100 et 400 bouteilles de jus de pommes sont produites suivant la récolte de l’année. Christophe a planté des abricotiers et plusieurs pêchers au milieu des cultures. Au pied de chaque arbre, il plante des fleurs et prévoit d’installer un abri à insectes pour attirer les auxiliaires (carabes, perce-oreilles et coccinelles). Des perchoirs à rapaces seront mis en place. Un de ses objectifs est aussi de se former au greffage des arbres. Puisqu’aux Allagouttes les figuiers produisent un peu, il va planter des kiwis et des kakis.
Les serres : elles abritent des courgettes, des salades, de la mâche, du navet, de l’épinard, du concombre, du haricot, des betteraves, du persil et une impressionnante quantité de basilic qui embaume. Des vignes poussent à l’intérieur. Christophe a le projet de rallonger la saison en cultivant davantage de plantes résistantes au froid, grâce au rajout de voile de forçage sous la serre.
Une petite pépinière d’arbustes : elle accueille boutures, semis de pommiers et autres marcottes de fruitiers en tous genres (pommier, cognassier, poirier, abricotier, pêcher, fraisier, raisin muscat et chasselas framboisier, mûres, cassissier, caseille, lilas, seringat, rosiers variés, noisetier, saules pour la vannerie …). C’est infini ou plutôt jamais fini, toujours changeant au gré des rencontres, humaines surtout !
Récoltes : 300 kgs de poireaux, 200 kgs de patates, 200 pieds de tomates et les kgs qui vont avec, 75 salades par semaine (d’avril à novembre), 40 kgs de fraises, 30 kgs d’asperges, potimarrons, fenouils, choux- raves, de Bruxelles, blancs, rouges, pointus, frisés, brocolis, céleris boule et branche, cardons, arroches, épinards, navets, radis roses et radis noirs, betteraves, concombres, courgettes, hysope, serpolet, romarin, sauge, livèche, poivrons, aubergines, mâche, oignons, échalotes, ail, bettes, haricots, petits pois, menthe, mélisse, estragon, rhubarbe, thym, verveine, oseille, ciboulette etc.
« On va dire qu’il n’y a que les carottes et les panais que nous ne cultivons pas pour l’instant car leur culture est trop délicate par rapport aux capacités de travail qu’ont nos jeunes actuellement. Tout est distribué dans 4 maisons, y compris au Surcenord. Si la production du jardin ne couvre pas les besoins toute l’année, elle contribue grandement à la consommation de fruits et légumes frais et sains. »
Ce grand jardin est magnifique, bravo à tous les jardiniers et toutes les jardinières des Allagouttes !