"Pendant l'hiver, on monte des murs"
Avec Pierrick, nous gagnons un coteau de vignes qui domine Ammerschwihr. C'est ici qu'un mur de pierres sèches a été élevé durant trois hivers (2019 à 2021). Il faut accepter de prendre le temps pour une telle réalisation dont la durée de vie est estimée à... 300 ans ! Il n'y a dans ce mur que des pierres de "récup" offrant des nuances de grès, de calcaire et de granit qui s'harmonisent étonnamment.
Pourquoi la pierre sèche ?
Des pierres posées les unes sur les autres, sans ciment ni un quelconque béton : c'est tout un savoir faire ancestral qui renaît dans ce paysage viticole magnifié par l'élément minéral. D'une longueur de 40 m et d'1m d'épaisseur, le mur maintient un talus très pentu et régule les écoulements d'eau. C'est un refuge de biodiversité abritant des insectes, des oiseaux, des reptiles et des petits mammifères. Une des espèces emblématiques de cet espace est un saurien, cousin du crocodile : le lézard vert occidental. Cette espèce menacée apprécie aussi les buissons denses, prairies, bords de chemins, lisières de forêts, haies...
En construisant ce "mur sec", l'homme créé donc de la biodiversité. Début mars, on y voit déjà des lézard des murailles et différents insectes.
Comment s'est déroulé le chantier ?
Formé par les Muraillers de Bourgogne* pour un projet pilote animé par le PNR des Ballons des Vosges, Pierrick - tantôt seul, tantôt aidé par des collègues - a patiemment taillé et posé les pierres, créant même deux niches à vocation décorative. "À chaque couche de pierres posées, il faut s'imaginer rouler à vélo dessus". L'inclinaison du mur
- appelée "fruit" - est calculée en fonction de sa hauteur et de la poussée du talus. Une couverture en chaux naturelle permet de protéger et stabiliser l'ouvrage. C'est un travail physique, méthodique et esthétique.
Favoriser la biodiversité dans le vignoble : une démarche globale
Respecter le vivant commence par le soin apporté au sol dans lequel toute une vie se développe. Bactéries, mychorizes**, vers de terre, insectes et autres organismes créent de l'humus ainsi que des échanges précieux. Ici, le vigneron a choisi de protéger la vie du sol, les interventions y sont donc très réduites et la flore spontanée est préservée. Certains arbres semés par les oiseaux ou le vent sont laissés en place. Sur une parcelle, un pêcher des vignes et un mirabellier se mêlent aux ceps de vignes.
Le Domaine installe également des aménagements à base de bois mort pour attirer toute une faune auxiliaire. Toujours plus de vie, toujours plus de diversité. Petit à petit, un équilibre s'installe. Faut-il préciser que les pesticides et engrais de synthèse sont proscrits dans ces rangs de vignes ?
Cinq vignerons alsaciens ont participé à ce projet pilote soutenu financièrement par la Région Grand Est. Le Domaine Christian Binner a édité une cuvée spéciale "Éleveur de pierres" pour finaliser l'investissement.
* Société artisanale de restauration de monuments historiques basée en
Côte d'Or (21)
** Association symbiotique du mycélium d'un champignon et des racines d'un arbre ou d'une plante à fleurs.